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Nos ancêtres, Filles du Roy

Laliberté, Lemay, Roux, Emond, Bélanger, Gaulin, Boucher, Bilodeau, Lamy, Roy, Turcotte, etc… si nous portons un patronyme d’origine française, nous avons une Fille du Roy, ou plusieurs, parmi nos ancêtres.

Comment pouvons-nous en être aussi sûrs?


Pendant la décennie 1663-1673, Louis XIV fit traverser l’Atlantique à près de 800 femmes à destination de la Nouvelle-France. Depuis le début de la colonie, des femmes étaient venues avec leur mari et leur famille ou avaient osé la traversée pour les retrouver quelques années plus tard, quand leur situation était devenue moins précaire. A plusieurs reprises, des recruteurs sont retournés en France faire le plein d’engagés, presque toujours célibataires. Pensons à Robert Giffard, Jeanne Mance, Monsieur de Maisonneuve, Jérome Le Royer, Olivier Letardif et bien d’autres.


Le roi prend en charge le recrutement, l’habillement, les frais de voyage en France et la traversée de l’Atlantique de ces pupilles royales. Il accorde d’abord une somme de 100 livres, dont 10 livres pour les frais de levée de recrue, 30 livres pour réunir un modeste trousseau et 60 livres pour payer la traversée de chaque fille. Elles sont recrutées dans les régions de La Rochelle, de Rouen et de Paris. Ces orphelines sans fortune sont majoritairement des citadines. On estime qu’elles avaient entre 16 et 40 ans, pour une moyenne de 24 ans, à leur arrivée. Entre 1667 et 1672, en plus du trousseau, on accorde à plusieurs de ces filles (41%) une dot royale de 50 livres tournois. Quelques-unes reçoivent des montants plus importants (100 ou 200 livres). Certaines années de pénurie en numéraire, cette somme de 50 livres est remplacée faute d’argent, par des denrées tirées des magasins du roi dans la colonie.

À leur arrivée au Canada, ces filles sont logées et nourries jusqu’à leur mariage. Presque toutes se marient rapidement. Selon les rapports des administrateurs, bon nombre d'entre elles étaient mal préparées aux difficultés de la vie paysanne canadienne. Elles ont cependant relevé le défi. L’environnement canadien plus riche en ressources alimentaires et la faible densité de population leur a permis d’avoir de nombreux enfants et de vivre plus longtemps que leurs cousines demeurées en France.

Or, aux environs de 1660, la population s’élevait à moins de 2500 personnes dans la colonie. C’était bien peu en comparaison des prospères colonies anglaise et hollandaise établies un peu plus au Sud. De plus, les agressions iroquoises continuaient de plus belle. Certains dirigeants s’inquiétaient de la viabilité de la Nouvelle-France.


C’est ainsi qu’en 1663, on comptait de 6 à 14 hommes pour une femme en Nouvelle-France. Louis XIV décida alors de répondre favorablement aux demandes insistantes des responsables de la colonie. Prenant à sa charge leur transport et peut-être aussi leur établissement, il recruta ces quelques 800 femmes à marier (c’était là le vrai nom qu’on leur attribuait au XVIIe siècle, l’appellation Filles du Roy leur fut donnée par Marguerite Bourgeoys quelques années plus tard). En bonne partie, elles furent tirées de La Salpêtrière à Paris, sorte de refuge pour les pauvres, orphelins et autres exclus de la société. Ces orphelines ont fort probablement subi leur départ pour la colonie selon un document découvert ces dernières années. A part elles, il y eût bien des filles de notables, mais surtout des filles d’origine modeste. Elles quittaient leur pays en espérant une vie meilleure. Mais leur mission était claire, se marier et fonder des familles.


Le 16 juin 1663, L’Aigle d’Or, ce navire du Roy transportant parmi ses 225 passagers trente-six Filles du Roy quitte le port de La Rochelle. Le 22 septembre suivant, après 111 jours de traversée, il jette l’ancre devant Québec. Des écrits du temps nous informent que le voyage s’est avéré particulièrement pénible. Une soixantaine de passagers meurent en mer et ceux qui débarquent sont dans un état lamentable. Les Filles du Roy doivent bien être dans la même condition. Recueillies par les Ursulines, elles sont soignées et nourries. Puis, remises sur pied, elles participent à des rencontres organisées afin de prendre contact avec ces hommes du pays qui les attendent depuis si longtemps. Elles choisiront un de ces hommes comme époux, s’établiront avec lui et fonderont une famille.


On a souvent entendu dire qu’elles se marient dans les quinze jours pour la plupart. C’est faux. Elles se marient presque toutes dans les cinq mois qui suivent leur arrivée. Dans la première année, l’installation sur une terre “en bois deboutte” constitue une rude entreprise. Certains de ces hommes ont peut-être déjà construit leur maison. Les autres doivent s’y mettre prestement en raison de l’hiver à venir. Louise Dechêne explique : “Sa première tâche est d’abattre ce qu’il faut d’arbres pour construire une cabane de pieux d’environ quinze pieds sur vingt, de petits arbres qu’il aiguise à un bout et plante en terre. C’est une construction frustre sans plancher ni cheminée, mais qu’il faut rendre suffisamment étanche pour y passer au moins un hiver. Il utilise des herbes et des écorces pour faire le toit et boucher les fentes. Au bout de trois à quatre semaines, il peut apporter son coffre et ses provisions dans cette cabane, quitte à la parfaire avant l’hiver” .(1)


L’arrivée de ces femmes sur une durée de onze ans à peine change tout. Avec elles, l’espoir revient. En dix ans, la population triple. Elles ont mandat de peupler le pays. Elles prennent leur mission à coeur!


L’an prochain, il y aura 350 ans que la première cohorte de 36 Filles du Roy est débarquée à Québec. Pour l’occasion, la Société d’histoire des Filles du Roy s’est associée à la Commission franco-québécoise des lieux de mémoire communs pour organiser, à l’été 2013, au Québec comme en France, de grandes célébrations. En juin, pendant une dizaine de jours, nous réveillerons la mémoire de ces femmes et de leur départ de La Rochelle. Au Québec, en août, les Fêtes de la Nouvelle-France auront pour thème «Le rôle des femmes en Nouvelle-France». L’arrivée des Filles du Roy sur un grand voilier français devrait être un événement majeur. La Société d’histoire des Filles du Roy (SHFR), avec ses 36 filles venues directement du XVIIe siècle, jouera un rôle capital. Dans les semaines qui suivront, de nombreux villages ou villes où s’installèrent ces femmes, honoreront à leur manière, ces mères de la nation québecoise qu’elles sont devenues.


Elles nous ont mis au monde, l’histoire les a oubliées. La plupart d’entre nous ne connaissons même pas le nom de celles qui furent nos ancêtres propres. Quelle merveilleuse idée que de les chercher d’ici là!


Qu’elles soient venues en 1663 ou après, ces dignes et valeureuses pionnières méritent notre respect et notre plus grande estime!


Nous allons parler d’elles entre nous et à nos enfants. Nous allons retrouver la mémoire.

Danielle Pinsonneault


(1) Dechêne Louise, Habitants et marchands de Montréal au XVIIe siècle, Boréal compact, Montréal, 1998, p.271


Article paru dans http://www.sphcb.com/La Coste des Beaux Prés, vol 17, N° 3, mars 212 Nos Sources, Bulletin de la Société de généalogie de Lanaudière, vol 32, N° 3, septembre 2012


Saviez-vous que...

Les Filles du roi sont des femmes célibataires et quelques veuves dont le roi favorise la migration en Nouvelle-France entre 1663 et 1673. Comme les intérêts privés favorisent la migration d'engagés mâles, le gouvernement français et les communautés religieuses tentent de corriger la disproportion entre les sexes dans les colonies. Au Canada, même si les premières femmes commencent à arriver dans les années 1630, seules les quelque 800 qui débarquent au cours des 11 premières années du gouvernement royal sont appelées “Filles du roi”.

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